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Les Habitants de l’Alentejo

Bien des choses caractérisent la vaste étendue dégagée de la province portugaise de l’Alentejo : le passé, le vin, les forêts de chênes-lièges, la côte atlantique, la lumière, etc. Mais ceux qui connaissent cette région magnifique savent que ce sont les habitants qui la définissent réellement. Pourtant, tandis que l’accueil chaleureux des habitants de l’Alentejo imprègne les médias sociaux, les articles de voyage ne lui rendent pas suffisamment justice. Cela peut sembler cliché, mais lisez mon histoire et vous en jugerez par vous-même.  

C’était la fin des années 80 et je venais tout juste d’obtenir mon permis de conduire. Ma famille vivait à Coimbra, dans le centre nord du Portugal. Quand j’étais adolescent, j’avais la chance incroyable de pouvoir voyager chaque été au Portugal pendant un ou deux mois. J’ai pu voir le pays se transformer lorsqu’il est entré dans l’Union européenne.  De toute évidence, ayant grandi à Chicago, je voyais le Portugal comme un lieu ancien et éloigné. Je commençais à apprendre la langue et à l’époque, il n’y avait pas d’Internet, très peu d’émissions américaines à la télévision, et pas de câble. En fait, il existait seulement deux chaînes de télévision – ou plutôt, une et demie.

Je développais donc chaque été mon amour pour l’extérieur, les randonnées, les voyages et l’exploration de la campagne, où je partais à la recherche d’endroits spéciaux. Bientôt, j’ai découvert des châteaux, nombreux au Portugal. 

Tous les étés, nous passions aussi quelques semaines sur la côte de l’Algarve. Pour y accéder, nous devions traverser l’Alentejo, une région vaste et unique qui représente 30 % de la superficie du Portugal. J’ai donc profité de l’occasion pour planifier un voyage et découvrir de nouveaux coins reculés de la province, avec laquelle je suis rapidement tombé en amour. 

Pour bien comprendre l’état d’esprit dans lequel je me trouvais, rien ne vaut cette histoire toute simple de perte et de rédemption : Un jour du mois d’août, ma grand-mère, ma tante et moi-même nous déplacions vers le sud, en direction de l’Algarve. Nous étions partis tôt de Coimbra et avions roulé pendant 2 heures pour atteindre Tomar, où nous avons rendu une courte visite à mon oncle et ma tante. Depuis la ville des Templiers, la route serpentait dans les forêts de pins jusqu’aux rives du Tage, que nous avons franchi à la haute d’Albrantes. Là, nous avons pris la légendaire EN 2, l’équivalent portugais de la Route 66, qui lie Chaves et Faro en passant par le cœur du Portugal. À cette époque, la route bien pavée et étroite s’élargissait de plus en plus à mesure que les pins disparaissaient derrière nous et les plaines de l’Alentejo s’ouvraient devant nous tandis que nous filions vers le sud. 

Un mélange de Fado et de musique de Joaquin Rodrigo jouait dans le lecteur de cassette. Nous avons roulé pendant des kilomètres sans croiser un seul village. Puis, nous avons aperçu au loin le bourg de Ponte de Sor, encerclée de champs et d’oliveraies. Par malheur, au moment même où nous dépassions le panneau de béton démodé indiquant « PONTE DE SOR », tous les voyants du tableau de bord de notre Renault 12 1938 se sont mis à clignoter. Connaissant peu les voitures, je me suis rangé sur le côté, mais ma tante pensait que nous étions capables de nous rendre en ville et de trouver un mécanicien. Tant bien que mal, la Renault a clopiné jusqu’au centre de Ponte de Sor. C’était le milieu de la journée et il faisait environ 40 degrés Celsius (95 degrés Farhenheit). Les rues étaient pratiquement vides, mais un café local était ouvert. Ma tante s’est informée d’un mécanicien et un homme du coin, après nous avoir entendus raconter notre infortune, nous a demandé d’attendre quelques minutes pendant qu’il allait chercher de l’aide. Une quinzaine de minutes plus tard, il était de retour avec un Senhor Esperto, le mécanicien de la place, qui était en train de dîner chez lui. M. Esperto nous a dit de ne pas nous inquiéter, de nous asseoir et de manger un morceau pendant qu’il pousserait la Renault jusqu’à son garage pour l’inspecter et nous la ramener par la suite.

Étant donné la chaleur, la distance à laquelle nous étions de chez nous et le regard bienveillant de M. Esperto, nous nous sommes pliés à ses instructions. 

Juste à côté se trouvait un restaurant branché et invitant. Nous nous y sommes donc rendus.  Le menu était écrit sur un tableau noir affiché au mur et proposait Ensopado de borrego, qui est un ragoût d’agneau et Especialidades de porco preto, un assortiment de porc grillé. Nous avons pris une assiette de chaque plat, tous les deux exquis, et avons accompagné le tout d’un verre de vin rouge local. Bien que ma grand-mère vienne du nord et n’avait que du mépris pour la nourriture du sud (notamment en raison de sa forte aversion pour la coriandre), elle-même a dû admettre que le porc grillé était incroyable.




Au moment où nous recevions les assiettes de Boleima de Ponte de Sor, un pouding local, M. Esperto était de retour avec de mauvaises nouvelles. La courroie de ventilation avait cédé et le moteur avait surchauffé. Nous avions besoin d’un nouveau joint de culasse, et il faudrait des semaines pour que le mécanicien reçoive les pièces et effectue la réparation.

Cette nouvelle n’a pas été bien reçue, mais M. Esperto avait un plan en tête. Son ami Senhor Lucio avait une voiture et était ravi de nous conduire immédiatement à l’Algarve avec tous nos bagages.

Bien entendu, pour un Américain endurci par la ville, il ne m’était pas naturel de faire confiance aussi aveuglément, mais le merveilleux dîner, le bon vin local, le temps chaud et la gentillesse dans les yeux de M. Esperto nous ont rassurés. Nous avons donc accepté, nous nous sommes entassés dans la Mercedes noire de M. Lucio et avons filé vers le sud à travers les forêts de chênes-lièges et les plaines à perte de vue. Ces personnes étaient d’une gentillesse sans nom.

Une semaine plus tard, M. Lucio était de retour avec notre Renault argentée, réparée et fonctionnant aussi bien qu’une Renault 12 peut fonctionner, et évidemment une facture au montant de 11 000 Escudos pour la réparation. En dollars actuels, cela équivaut à moins de 100 $.

J’ai alors appris une leçon. L’amabilité de M. Esperto, sa capacité à tout interrompre pour aider un étranger, la chaleur et la gentillesse des habitants d’une petite ville, et la confiance et l’ouverture instantanées des personnes que j’avais rencontrées; c’était cela, l’esprit de l’Alentejo. Et c’est quelque chose que j’ai retrouvé maintes et maintes fois : des gens accueillants qui font des pieds et des mains pour aider un inconnu, que ce soit l’homme de Gavião qui m’a accompagné jusqu’à son restaurant préféré un jour d’été ou celui de Castelo de Vide qui est parti à la recherche de la clé d’une synagogue que nous souhaitions visiter.

Je peux dire sans aucun doute que les habitants de l’Alentejo sont les gens les plus gentils, chaleureux et accueillants que j’aie jamais rencontrés. Ils se souviennent de quelque chose que le reste d’entre nous avons oublié en chemin. Mon conseil est de parler aux gens du coin, même si vous ne parlez pas la même langue. 

Ils rendent cette place absolument envoûtante encore plus spéciale. Là-bas, la vie avance plus lentement et le poids du monde semble plus léger. Sous un ciel bleu clair qu’on dirait superposé et nuancé, l’Alentejo bouge à son propre rythme. Et à l’instar d’un bon vin, chaque gorgée est meilleure que la précédente. 

MON ALENTEJO

Midi. Le soleil ardent plombe, recouvrant tout d’or. Le blé blond fait ondoyer, légèrement... doucement... Les coquelicots sanguinolents et sensuels...

Les êtres du ciel battent des ailes; et les filles,
Des fleurs épanouies dans leurs massifs, 
Montrent à travers le blé jaunissant
Leur délicat profil au teint doré...

Tout est paisible, chaste et enchanteur... 
Je regarde ce paysage, une toile 
De Dieu, et je pense :  Où est le peintre,

Où est l’artiste qui a une si grande connaissance? 
Qui peut imaginer la plus belle des choses? 
Ce qu’il y a de plus délicat et de plus beau en ce monde 

Florbela Espanca

* Jayme H. Simões est un blogueur de voyage au Portugal.  Il a grandi à Chicago, mais a passé ses étés à explorer le Portugal avec sa famille.



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