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Tourisme de l’horreur dans l’Alentejo

Le tourisme de l’horreur existe bel et bien, à tel point qu’une série Netflix y est consacrée. Ce type de voyage n’est pas pour tous, mais il se prête bien à ceux qui sont à la recherche de destinations non conventionnelles comme les catacombes de Paris, le château de Dracula et la tour de Londres, des lieux qui relèvent du vécu, de la perte, du drame historique et du macabre. Le Portugal recèle de ces endroits qui sortent des sentiers battus, mais le principal site portugais du tourisme de l’horreur est depuis longtemps la Capela dos Ossos à Évora. De nombreux voyageurs rêvent de voir un jour cette petite chapelle située à l’intérieur de l’église Saint-François et construite au XVIe siècle, dont les murs sont ornés de crânes humains et d’innombrables os.  Seuls le plafond et le plancher ne sont pas recouverts d’ossements humains. On estime que plus de 5 000 crânes décorent la chapelle, dont un grand nombre proviennent de cimetières monastiques de la région.

Comme pour renforcer le côté lugubre de l’endroit, une inscription figure au-dessus de la porte : Nós ossos que aqui estamos pelos vossos esperamos (Nous, les os qui gisent en ce lieu, attendons les vôtres).

On est en droit de se demander quels autres lieux macabres de l’Alentejo peuvent rivaliser avec une attraction aussi funeste.

L’exploitation minière est un secteur d’activité sinistre et dangereux, et personne ne sait exactement combien de travailleurs sont morts dans les mines de São Domingos. La mine inondée est une destination de plus en plus prisée. Bien que le cuivre y ait d’abord été exploité, à compter des années 1910, c’est plutôt vers la pyrite que les activités minières se sont tournées en vue d’en extraire le soufre, contaminant ainsi les eaux souterraines.

Sous la pression pour réparer les dégâts, l’exploitation minière a fermé ses portes en 1966. La mine abandonnée attire aujourd’hui les touristes. Plusieurs des bâtiments miniers sont encore debout et la mine à ciel ouvert est toujours là. L’ancien siège social de la société minière datant de 1875 est devenu le Star Hotel. La casa do mineiro, une petite maison de l’époque convertie en musée et en lieu d’archives, dépeint la dure vie des mineurs. Une exposition a également lieu dans l’ancien théâtre de la ville.

Elvas est réputée pour ses imposantes fortifications qui encerclent la ville. Les remparts bien préservés témoignent d’une longue et sanglante histoire dans cette localité située directement sur la frontière espagnole.  Prise aux Arabes en 1230, Elvas est devenue une forteresse cruciale du fleuve Guadiana. Son emplacement a fait d’elle la cible de fréquentes attaques de l’Espagne, notamment en 1580, en 1644, en 1658 et en 1801.Pendant les guerres napoléoniennes, le duc de Wellington a lancé un assaut sanglant contre l’armée française à Badajoz. Marquée par de si nombreuses batailles, la sombre histoire d’Elvas nous rappelle que de bonnes murailles font de bons voisins.

Encore aujourd’hui, on accède à la ville par trois portes massives, à l’écart desquelles se trouvent deux forts en forme d’étoile. Le château d’origine a été bâti sur des ruines romaines et maures, tandis que les anciennes casernes abritent un musée militaire.



Un carrefour animé à l’époque romaine, la ville d’Ammaia a été perdue lors de la chute de l’empire pour n’être redécouverte qu’au siècle dernier. Depuis, elle a été excavée et fouillée par des scientifiques des quatre coins du monde.

Fondée au Ier siècle de notre ère, Ammaia comportait un forum, des thermes et des temples. Les premières excavations, qui ont eu lieu dans les années 1950, ont révélé l’ampleur de la cité perdue. C’est vers l’an 44 ou 45 qu’Ammaia s’est élevée au rang de civitas, ayant obtenu le statut de municipum au cours du Ier siècle, avant d’être malheureusement détruite par les barbares au IIIe siècle. Au moment de l’invasion maure, les quelques résidents restants avaient déjà fui vers les collines avoisinantes, près de Marvão. Les ruines qu’on y retrouve reflètent le caractère inéluctable de la montée des océans et de la chute des empires.

Non loin d’Évora, le château d’Estremoz est juché au sommet d’une colline. De forme pentagonale, la bâtisse comprend notamment un haut donjon de marbre. La pousada située à proximité est un lieu d’escapade empreint d’élégance, bien qu’elle renferme une sombre histoire remontant à la guerre civile portugaise du XIXe siècle. 
En effet, l’établissement a été le théâtre du fameux massacre où plus de 30 prisonniers libéraux auraient perdu la vie aux mains du peuple et d’une partie de l’armée absolutiste. Les accords d’Evora-Monte ont été signés non loin de là le 26 mai 1834.

Moura est une charmante petite ville dont les armoiries racontent une histoire macabre, celle d’une femme morte au pied d’une tour. Laissez-moi vous expliquer. En 1166, une princesse maure du nom de Salúquia devait épouser un jeune homme d’une ville plus au nord.  La veille de leur mariage, le fiancé a été tué dans une embuscade tendue par des chevaliers chrétiens. Les chrétiens ont revêtu les habits des musulmans et se sont dirigés vers Moura.  Du haut de la tour du château où elle attendait l’arrivée de son bien-aimé, Salúquia a vu les membres de la garde rapprochée de son promis franchir les portes et prendre la ville d’assaut sous ses yeux horrifiés. Désespérée, la princesse s’est jetée d’elle-même au pied de la tour vers une mort certaine. Émus par cette histoire d’amour tragique, les conquérants ont nommé la ville Terra da Moura Salúquia. La tour est toujours debout et la ville continue de s’accrocher au récit de la princesse morte, ce que son blason atteste.

Notre dernière suggestion est quelque chose qui était encore récemment un important attrait touristique : la corrida. Comme les temps changent, la corrida portugaise est passée de festival du courage à symbole de la cruauté animale dans les yeux du public. L’Alentejo demeure toutefois le centre de l’élevage de taureaux et de chevaux et compte plusieurs dizaines d’arènes en activité. La Tourada á Portuguesa a lieu tout juste avant la tombée de la nuit, de sorte que les zones d’ombre se mêlent aux rayons de soleil. Le cavaleiro (cavalier) revêt un veston de soie brodé d’or et de dentelle, un pantalon d’équitation de couleur brun clair et des bottes noires pour affronter le taureau de combat ibérique noir, non pas dans le but de le tuer, mais pour enfoncer une fléchette dans le muscle dorsal de la bête. Le cheval et le taureau doivent se charger l’un l’autre, avant que le cheval ne bifurque soudainement pour éviter un impact. Le cavalier pique alors le taureau au bon endroit et s’éloigne sur sa monture.

De nos jours, les touristes font des tours de voitures tout-terrain dans les montados pour aller observer les taureaux ibériques dans leur habitat naturel. Malgré leur popularité en déclin, les corridas continuent de remplir des arènes dans le sud du pays. Ce spectacle à la fois sanglant et élégant qui divise le Portugal demeure une rare tradition remontant à des temps anciens où les sensibilités étaient différentes.

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