Aller au contenu
Blog

L’histoire de deux vignobles : Esporão et Howard’s Folly

L’Alentejo, la plus grande région viticole du Portugal, peut se targuer d’une renommée grandissante au point qu’elle rivalise désormais avec la région viticole la plus célèbre du pays, la vallée du Douro. Les deux régions ont leur place bien entendu, mais il est plaisant de voir que les vins de l’Alentejo obtiennent enfin la reconnaissance qu’ils méritent depuis longtemps.

La grande diversité des vins et des établissements vinicoles de l’Alentejo est l’une des raisons qui incitent à les découvrir. Qui sait! Peut-être portez-vous un grand intérêt aux vastes domaines viticoles historiques ou aux vineries urbaines d’un nouveau genre. Peut-être privilégiez-vous les entreprises familiales multigénérationnelles. Peut-être ce sont les projets audacieux lancés par des gens passionnés qui vous attirent. Peut-être tablez-vous sur les valeurs sûres, appréciant qui produit infailliblement les vins que vous avez appris à apprécier. Peut-être privilégiez-vous les viticulteurs de la nouvelle génération qui prennent plaisir à expérimenter. Assurément, l’Alentejo compte certainement un établissement vinicole qui répond à vos attentes. 

Et même plus d’un. Chose certaine, vous ne repartirez pas le gosier sec! Ni le ventre creux, puisque la plupart des établissements vinicoles parmi les meilleurs proposent d’excellentes tables. Vous ne pourrez pas même vous plaindre de ressentir l’ennui tant les contrastes sont délicieux. 

 

Prenons par exemple, Esporão, situé dans la ville de Reguengos de Monsaraz, dans le district d’Évora. En 1973, José Roquette et Joaquim Bandeira font l’acquisition de ce domaine vinicole où s’étendent des vignobles pluricentenaires. Ils parviennent à faire d’Esporão l’un des plus grands producteurs de vins biologiques au monde.  

Même si le domaine vinicole possède des vignobles et des établissements vinicoles dans la vallée du Douro et dans la région du vinho verde (vin « vert » fait à partir de raisins qui ne sont pas mûrs), Esporão est devenu le porte-étendard de la viticulture alentejane et un ambassadeur de la culture portugaise dans le monde (si vous ne connaissez pas le vin Esporão, peut-être avez-vous entendu parler de l’emblématique Monte Velho produit dans l’Alentejo ou d’autres vins, comme le Quinta dos Murças).

Le domaine a lancé en 1997 les circuits d’œnotourisme d’Esporão, un projet pionnier au Portugal. Depuis, il a remporté plusieurs prix. La perspective d’une visite du domaine viticole est des plus réjouissantes. Déjà, le trajet en voiture à travers les collines ondoyantes et les terres couvertes de vignes de l’Alentejo est source de plaisir. Le trajet depuis Lisbonne prend environ une heure et demie. L’Alentejo se plaît à nous rappeler que le bonheur se goûte tout autant en route qu’à destination.

L’expérience des sens commence par une visite des lieux et des installations de production des vins et de l’huile d’olive. Puis, dans une cour remplie de vignes, l’on propose une dégustation d’huile d’olive. Cet élixir de l’Alentejo vous est servi dans un verre de la taille d’une tasse à espresso. Vous pourrez siroter l’huile en le faisant tourner dans votre bouche et en ne l’avalant qu’après l’avoir dégustée pleinement (seuls les amateurs trempent le pain pour en atténuer la saveur). 

À moins que votre visite coïncide avec les canicules caractéristiques du mois d’août, vous aurez sûrement envie de vous promener à pied ou à vélo pour découvrir les vignobles ou la forêt vierge environnante. Privilégiant une approche holistique, Esporão a adopté des pratiques de production agricole durable qui lui ont valu une mention honorable. À 84 ans, José Roquette, fondateur de ce domaine, se promène toujours à vélo entre les vignes et les oliviers. 

Les vignobles, impressionnants, diversifiés, semblent s’étendre à l’infini. Une section des vignobles est réservée aux expérimentations; l’on tente d’y cultiver des cépages renommés du monde entier. Le pinot noir, ce cépage qui prospère dans la brume de l’Oregon brumeux et le temps frisquet de la Nouvelle-Zélande frileuse, s’étiole sous le soleil de l’Alentejo. Mais tout n’est pas perdu! Esporão invite régulièrement des viniculteurs, des sommeliers et des œnologues du monde entier à des repas où l’on expérimente des accords mets-vins inventifs. 

 

La visite de l’Esporão n’en est pas moins agréable pour les non-initiés. Le restaurant chic du domaine est une destination en soi; les fines bouches de Lisbonne viennent régulièrement y faire un tour pour s’offrir une expérience gastronomique. Au fil des ans, Esporão a servi de tremplin à des chefs, comme Pedro Pena Bastos qui l’an dernier a fait sensation en ouvrant le restaurant Cura dans l’hôtel le plus prestigieux de Lisbonne, le Four Seasons Hotel Ritz. 

À présent, la cuisine de l’Esporão est dirigée par le chef Carlos de Albuquerque. La cuisine du terroir fait la part belle aux produits frais, locaux et de saison provenant pour la plupart des jardins de l’Esporão ou de ceux des producteurs des environs. En 2021, le prestigieux domaine a lancé une série culinaire intitulée Mãos à Horta (« les mains dans le jardin ») : le chef Albuquerque reçoit d’autres chefs ambitieux pour concocter à quatre mains des repas inspirés du concept « du jardin à la table ». 

C’est un véritable hymne à l’écogastronomie et au riche passé de l’Alentejo, ce lieu magique invitant quiconque le visite à ralentir et à savourer pleinement la région. C’est aussi un hommage aux herdades (ou domaines) de l’Alentejo, ces continuateurs d’une tradition bien établie. 

Mais l’Alentejo continue de fasciner, car il est toujours en mouvement, en train de changer et d’évoluer. Il y a toujours l’apport de sang neuf, de nouvelles idées et de nouveaux projets. 

Un bon exemple est le Howard’s Folly, une entreprise viticole urbaine, audacieuse qui s’est établie dans la ville alentejane d’Estremoz. Howard n’est nul autre qu’Howard Bilton, un homme d’affaires britannique installé à Hong Kong. Passionné par les vins de l’Alentejo, il conçoit un projet fou : produire des vins de qualité supérieure en petites quantités avec certains des meilleurs cépages traditionnels du Portugal. Lorsqu’il décide de concrétiser ce projet, il a le flair de dénicher l’un des plus grands talents de la région, le viticulteur de longue date d’Esporão, David Baverstock. 

 

Howard’s Folly est donc né du partenariat novateur de l’entrepreneur Howard Bilton avec le viticulteur David Baverstock. Ces deux hommes partagent l’amour du vin de l’Alentejo… peut-être leur seul point en commun! Howard’s Folly préfère bousculer les traditions plutôt que leur rendre hommage. Ce projet viticole singulier vise la production d’une gamme de vins exceptionnels et le parrainage d’une organisation caritative (Sovereign Art Foundation) qui utilise le pouvoir de l’art pour assister les enfants défavorisés. 

Si la visite de nombreux domaines viticoles de l’Alentejo consiste à se promener dans les vignobles et à admirer les bâtiments historiques, celle du Howard’s Folly risque de surprendre. Il n’y a aucun vignoble en vue. En entrant dans le bâtiment, l’art est omniprésent. L’on découvre de grandes peintures murales hautes en couleur que Bilton a commandées à l’artiste portugais Le Funky. Une galerie baignée de soleil présente des expositions itinérantes. Lors de ma visite, il y avait une collection d’œuvres d’art de Nelson Mandela.

Mais une tradition caractéristique des établissements viticoles de l’Alentejo reste enracinée : l’excellente nourriture. Au restaurant Folly, le chef Hugo Bernardo propose une cuisine créative mettant à l’honneur les produits de l’Alentejano. Le menu en constante évolution offre des spécialités locales, comme les croquettes d’alheira (saucisse de volaille) et les sandwichs au steak, mais propose aussi des mets inventifs, comme les aiguillettes de canard à la purée de betteraves et le ceviche de bar. 

Comme c’est toujours le cas dans l’Alentejo, la probabilité que vous repartiez le ventre creux est nulle. 

* Aventurière dans l’âme, Ann Abel est une rédactrice pigiste spécialisée dans les voyages de luxe. Elle a piloté de petits avions sur trois continents. Arborant un tatouage Bora-Bora, elle a, fait inusité, été mordue par une massothérapeute.

Image 852